Si vous vous intéressez à Teshima, que vous vous y soyez déjà rendus ou que vous ayez l’intention de le faire, il y a de grandes chances que c’est grâce au Teshima Art Museum.
Si vous l’avez déjà visité, j’imagine que le lieu ne vous aura pas laissé indifférent et j’ose espérer que c’est de façon positive. Si vous ne l’avez pas encore fait, j’imagine que vous souhaitez le faire aussi tôt que possible.
Et même si vous n’en avez que vaguement entendu parler, peut-être souhaitez vous en savoir un peu plus avant de décider de faire un détour jusque sur cette île de la préfecture de Kagawa ? Et même si vous l’avez déjà visité, je suis sûr que vous souhaiteriez en savoir un peu plus sur lui.
Heureusement pour vous, je suis là et j’ai concocté cette page tout spécialement pour vous.
Mais commençons par le commencement.
Historique et Architecture du Teshima Art Museum
C’est en 2004, peu de temps après l’ouverture du Chichū Art Museum sur Naoshima, que Soichiro Fukutake (directeur de la Naoshima Fukutake Art Museum Foundation) eut l’idée de créer un lieu où « l’architecture, l’art et la nature ne feraient qu’un ». L’architecte commissionné pour la chose, Ryue Nishizawa s’enthousiasme pour l’idée et, après plusieurs visites de Teshima, il décida de concevoir un bâtiment qui aurait la forme d’une goutte d’eau au moment de l’impact.
Le bâtiment pratiquement dessiné à la main s’avère être un véritable challenge à construire puisque qu’il s’agit d’une coquille toute en longueur et extrêmement plate (les dimensions sont environ de 60 mètres de long, pour 40 de large et pas plus de 4,5 mètres de haut). La structure ne possède ni murs ni piliers et la coquille en béton est extrêmement fine, 25 cm d’épaisseur en moyenne. Un tel bâtiment est unique et les techniques pour le construire ont dû être inventées au fur et à mesure même de la construction.
Pour créer cette coque, un moule fait de terre renforcée par des armatures de métal fut d’abord assemblé, puis 22 heures durant, du béton fut coulé à l’aide de 120 bétonnières. Il mit ensuite cinq semaines à sécher, puis six semaines supplémentaires furent nécessaires pour retirer la terre de l’intérieur de la structure. Cette vidéo vous donnera une meilleure idée de la chose :
Comme vous l’avez déjà entrevu sur les photos précédentes et dans la vidéo, l’autre particularité du bâtiment est la présence de deux trous béants en guise de fenêtres et de source de lumière. Il n’y a pas de vitre ni aucune autre fermeture si bien qu’au Teshima Art Museum espaces intérieur et extérieur se mélangent allègrement et sont complètement indissociables l’un de l’autre.
Visite du Teshima Art Museum
Celle-ci commence par un chemin étroit serpentant dans la nature, permettant d’admirer le paysage, que ce soient les rizières attenantes ou la Mer Intérieure de Seto. Il fait ensuite le tour d’une petite colline située à côté du bâtiment. L’on reste donc à l’extérieur plusieurs minutes après être « entré » dans le musée, car rappelez-vous la citation au-dessus, nous sommes dans un lieu où la nature, l’art et l’architecture ne font qu’un.
D’ailleurs, face à un lieu se nommant Teshima Art Museum, la première chose qui vient à l’esprit est de se demander quelles sont les œuvres exposées dans ce musée.
La réponse est simple. Il n’y en a que deux. Et la première, c’est la nature…
En commençant par la nature que vous trouverez en vous approchant du musée, avant même d’y entrer. Les rizières et autres champs qui l’entourent étaient autrefois abandonnés. Les terrains ont été achetés par la fondation Fukutake en même temps que celui du musée pour que les champs y soient de nouveaux cultivés par les fermiers de l’île ainsi que des associations locales de bénévoles dont Koebi-tai. Ceci dans le cadre de sa démarche de revitalisation de l’île par l’art. Ces champs ont une fonction double. Tout d’abord, ils servent de décor au Teshima Art Museum. Ils l’inscrivent dans un paysage dont il devient indissociable. Et en parallèle, les récoltes de ces champs servent à simplement nourrir l’île, ainsi que ses visiteurs. Par exemple, le riz que vous mangerez à Shima Kitchen en provient.
Puis, il y a la nature au sens à la fois plus large et plus proche. C’est-à-dire tout ce que vous verrez et sentirez en arrivant, en marchant sur le petit chemin : la Mer Intérieure de Seto – du haut de la colline, vous pourrez admirer un paysage comprenant Shodoshima vers l’ouest, Inujima au nord, et Honshu derrière elle – et aussi les arbres, les oiseaux, l’air, le vent, la pluie parfois. Difficile d’y rester insensible du haut de ce versant, même – ou surtout ? – si on est citadin. Je n’ose imaginer une personne vivant au cœur de Tokyo ou d’Osaka ne pas ressentir quelque chose de fort à ce moment-là. Un moment qui nous rappelle que oui, la nature est bel et bien la toute première des œuvres d’art.
Après cette petite marche de quelques minutes, vous arriverez enfin devant l’entrée du bâtiment. On vous demandera d’ôter vos chaussures, peut-être de faire la queue, et surtout de vous conformer à quelques règles de bienséance : ne pas faire de bruit, ne pas prendre de photos, et faites attention où vous mettez les pieds.
Une fois à l’intérieur, la nature sera toujours là pour vous accompagner, dans sa forme la plus pure et la plus élémentaire : l’air, la lumière et l’eau. Ils font partie intégrante du Teshima Art Museum ainsi que de la deuxième œuvre présentée dans le musée, je veux parler de Matrix par Rei Naito.
Je ne devrais peut-être pas vous en dire trop sur cette œuvre. Je l’ai découverte sans rien en connaître, et je pense que c’est la meilleure façon de le faire.
Si toutefois vous voulez en savoir plus, parce que vous n’aimez pas les surprises, ou parce que malheureusement vous savez que vous ne pourrez vous rendre sur place, voici de quoi il en retourne (si vous voulez garder la surprise, sautez la prochaine partie et reprenez la lecture après la prochaine photo) :
Matrix par Rei Naito
Alors que vous entrerez dans ce gigantesque espace vide, éclairé et aéré par ces deux grands trous béants à chaque extrémité et qui laissent entrer le soleil ou la pluie, le vent aussi, voire même parfois quelques feuilles mortes ou quelques insectes égarés, vous ne pourrez vous empêcher de marcher, de vous déplacer à l’intérieur, d’occuper l’espace vide.
Peu à peu, vous remarquerez que l’espace n’est pas aussi vide qu’il n’en a l’air à première vue. Je ne parle pas des autres visiteurs avec qui vous devrez partager l’œuvre (j’ai eu la chance de l’avoir une fois pour moi tout seul, mais avec son succès grandissant j’ai peur que l’expérience ne se renouvelle pas de si tôt). En effet, vous remarquerez bientôt des fils presque invisibles flottant au vent, puis des petits galets plats au sol ainsi que quelques billes blanches. Et de l’eau aussi. Deux grandes flaques sous les deux grandes ouvertures, mais aussi de beaucoup plus petites ici ou là. Soudain vous aurez l’impression que quelques gouttes viennent d’apparaître au sol, sorties de nulle part. Rapidement, elles vont former une petite flaque. Peut-être grossira-t-elle sans raison apparente. Finalement du coin de l’œil, un mouvement au sol, comme un petit serpent transparent fuyant votre approche. L’eau est en mouvement. Elle est vivante. Elle sort du sol du musée, quelques gouttes par ci, quelques gouttes par là, forme des petites flaques, puis des plus grandes, jusqu’à ce que la gravité aidant – le sol n’est pas aussi plat qu’il en a l’air – les petites flaques ruissellent plus loin, jusqu’à l’une des deux grandes flaques qui ne sont pas (toujours) causées par la dernière pluie comme on pourrait le penser en entrant dans la structure.
Voila, de l’air, de l’eau, de la lumière et du béton : presque les quatre éléments de la nature et une œuvre d’art tout aussi déconcertante que sublime.
Maintenant que les lecteurs qui avaient préféré garder la surprise sont revenus, je rajouterai deux choses : si vous avez l’occasion de la visiter, je trouve que Matrix forme presque un diptyque avec Being Given, l’œuvre de Rei Naito située dans Kinza, l’un des bâtiments du Art House Project sur Naoshima. L’une étant presque l’antithèse de l’autre. Là où l’une est lumineuse, l’autre est sombre. L’une est fermée, presque claustrophobe, l’autre est ouverte. L’une est statique, l’autre est mobile. L’une reflète la mort d’une certaine façon, l’autre est l’incarnation de la vie. Finalement l’une est très célèbre et l’une des œuvres les plus visitées de la région, l’autre est presque inconnue, visitée seulement par une poignée de personnes (puisque on ne peut entrer dans Kinza uniquement sur rendez-vous et uniquement une personne à la fois).
L’autre chose, c’est un extrait d’un texte écrit par le critique d’art Noi Sawaragi et publié dans le Naoshima Note de juin 2012 (reproduction et traduction faite avec l’autorisation de l’éditeur):
« Le sens auquel ce musée donne corps est quelque chose de très révolutionnaire. Quand on y réfléchit, l’art tel que nous le connaissons a toujours représenté une sorte de substitut pour le phénomène du vivant. Dans le monde de l’art, on utilise souvent l’expression « insuffler de la vie dans une œuvre. » Si on prend ça dans l’autre direction, cela implique qu’une œuvre d’art est « morte » par nature. Et donc, même si la vie est insufflée de manière métaphorique, l’art ne peut jamais être vraiment vivant pendant très longtemps. C’est pourquoi la valeur éternelle d’une œuvre d’art en tant que « chose morte parfaite » est soulignée par le fait qu’elle survive à la vie qui est par nature éphémère. « La vie est courte, mais l’art dure pour toujours » en est une bonne description. Les musées d’art existent en tant qu’institutions qui préservent la longévité matérielle de l’art. Pour cette raison, les musées ont souvent été comparés – parfois de manière ironique – à des tombes. En effet, le musée d’art est un lieu comparable à une capsule temporelle qui, dans un but hypothétique de jugement dernier à la fin de l’histoire, sépare avec succès art et monde réel. Le musée préserve un matériau sans vie qui ne peut pas être reproduit. Le Teshima Art Museum est complètement différent. Je le dis sans exagérer, ce musée est vraiment comme le phénomène du vivant lui-même. Il présente une chose totalement différente de la manière conventionnelle que les visiteurs ont d’appréhender une œuvre d’art pour la comprendre dans son contexte et honorer sa beauté. Le « phénomène » (ce que nous appelons conventionnellement « l’œuvre d’art ») y est toujours changeant et la « vie » toujours en activité (ce que nous appelons conventionnellement le « visiteur » ou « spectateur »). Ils sont intégrés l’un à l’autre avec douceur, transcendant l’opposition entre nature et artificialité. Ils sont incorporés dans un plus grand ensemble circulatoire où ils créent un « lieu » dans lequel la frontière entre l’œuvre d’art elle-même et l’acte de faire l’expérience de cette œuvre n’est plus définie – nous entrons dans une phase d’art totalement nouvelle. »
J’interromps ici la citation pour ne pas être trop long, mais le reste de l’article rejoint une pensée que j’ai souvent à propos des musées d’art où l’art est trop sacralisé, trop « mort » et justement le Teshima Art Museum ouvre la voie vers une autre forme de muséification plus vivante, plus proche du public, et – je rajoute – plus proche de son environnement. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles j’aime tellement l’Art de Setouchi et sa Triennale. Nous sommes en plein dans ce phénomène : l’art sort de sa tour d’ivoire et de sa « tombe » (pour reprendre la métaphore de Sawaragi) pour s’installer au milieu de la vie – dans le but de justement éviter à cet environnement de mourir.
Même sous la pluie, le Teshima Art Museum est un lieu unique et inoubliable.
Informations pratiques
Le Teshima Art Museum est situé à la sortie du village de Karato-oka, en direction de Karato-hama. Vous pouvez y accéder par le moyen de locomotion de votre choix, je conseille toutefois le vélo électrique.
Si vous vous déplacez sur Teshima en bus (ce qui est aussi assez probable), l’arrêt pour se rendre au musée est « Bijutsukan-mae » (littéralement « devant le musée »). En venant d’Ieura (le port principal de Teshima) l’arrêt est situé juste après avoir quitté le village de Karato. Si vous venez de Karato-hama, c’est le premier arrêt, il est situé juste après le musée (donc ne vous inquiétez pas, vous ne l’avez pas raté). Dans tous les cas, le nombre de visiteurs descendant à cet arrêt est très important (presque tous les passagers du bus en général), donc ne vous inquiétez pas trop, même si vous ne savez pas trop où vous êtes, suivez les autres. De plus, de nos jours, les chauffeurs de bus sont un peu plus habitués qu’autrefois aux touristes étrangers et ils sont très aimables (même s’ils ont un peu peur de s’exprimer dans le peu d’anglais qu’ils connaissent).
Il y a aussi un parking si jamais vous avez eu la drôle d’idée d’emmener votre voiture sur l’île – ce qui serait dommage.
Heures et jours d’ouverture habituels:
– Du 1er mars au 31 octobre, ouvert tous les jours sauf le mardi de 10h00 à 17h00 (dernière entrée à 16h30).
– Du 1er au 30 novembre, ouvert tous les jours sauf le mardi de 10h00 à 16h00 (dernière entrée à 15h30).
– Du 1er décembre à fin février, ouvert du vendredi au lundi de 10h00 à 16h00 (dernière entrée à 15h30).
– Ouvert les mardis quand ceux-ci sont des jours fériés, fermé le mercredi dans ce cas là.
Entrée : 1 570 yens – gratuit pour les moins de 16 ans. Réservation obligatoire.
Il y a un certain nombre de règles à suivre quand vous visitez le Teshima Art Museum (se déchausser, ne pas faire de bruit, ne pas prendre de photos), je vous conseille plus que chaudement de toutes les suivre pour tout un tas de raisons, mais essentiellement pour que tout le monde puisse profiter du musée de la meilleure façon possible. Cela va sans dire.
Voila, je crois que c’est tout pour l’instant, si vous avez des questions ou suggestions, n’hésitez pas à me contacter.
La boutique et café du musée
Si vous voulez en savoir plus, lisez les articles de blog qui parlent du Teshima Art Museum.
Sources :
- Naoshima Note – Juin 2012
- Teshima Art Museum Handbook
- Mes propres visites du lieu.
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