Note préliminaire : tout ce que vous lirez dans ce récit est rigoureusement authentique… ou pas…
La semaine dernière, j’ai eu l’occasion de partir pour une aventure, je pense que l’on peut même parler de quête.
Je ne peux pas encore vous donner tous les détails, mais sachez que cela a un rapport avec la Triennale de Setouchi 2016, que les deux protagonistes en étaient James Jack et moi-même, et qu’un troisième protagoniste est très important dans l’histoire, mais il n’était pas avec nous et ne sera pas, pour l’instant, nommé.
Donc, la semaine dernière, je retrouvai James Jack aux abords du Parc Ritsurin, et nous partîmes ensemble vers l’est de Kagawa. 40 minutes et une glace à la vanille (pour moi, et à la menthe pour lui) plus tard, nous arrivâmes enfin à destination.
Enfin, “destination” façon de parler, parce que nous ne savions pas exactement où était cette destination. Voyez-vous, nous avions bien une adresse, mais aucune des cartes en notre possession (Google maps, Yahoo Japan maps et le navigateur de ma voiture pour ne pas les nommer) n’arrivaient à trouver l’emplacement exact du lieu que nous recherchions. Si vous connaissez comment fonctionnent les adresses japonaises, vous savez que parfois, même avec l’adresse exacte, un lieu n’est pas toujours facile à trouver, alors là, on cherchait presque une aiguille dans une botte de foin.
Pour vous donner une idée, voici l’emplacement le plus précis dont nous disposions (ça fait environ 2 kms de diamètre).
Nous étions donc arrivés à Okawamachi Tomidahigashi et nous demandions comment procéder pour la suite afin de retrouver ce que nous étions venus chercher.
Ah oui, peut-être est-il temps que je vous dise de quoi il s’agit. Je vous prierai de bien vouloir m’excuser, mais là aussi, je ne peux tout révéler. Sachez juste qu’il s’agit d’un “artefact” issu de la Triennale de Setouchi 2013 et dont nous essayons de retrouver la trace. Bon, allez, je vous en dis un petit peu plus, il s’agit d’un bateau (si vous lisiez le blog à l’époque – où si vous le faites maintenant – vous savez qu’il fut question de plusieurs bateaux, et bien, c’est l’un d’entre eux).
Donc voila, nous étions à Okawamachi, dans la commune de Sanuki, près de Tsuda, à environ 5 km de la côte (même si le paysage nous donnes l’impression d’être bien plus à l’intérieur des terres : une petite vallée coincée entre plusieurs collines) à la recherche d’un bateau que je n’avais pas vu depuis près de trois ans et que James n’avait jamais vu. Et nous ignorions tout de l’état dans lequel il se trouvait ; c’était en fait le but principal de notre quête : le retrouver bien entendu, mais aussi évaluer son état actuel.
Et nous voici, roulant, sans trop savoir où aller, au milieu des rizières qui commencent à avoir de la gueule dans ce coin de Kagawa en cette fin de juin (j’avais déjà remarqué que dans l’est de Kagawa, le riz était planté bien plus tôt qu’à Takamatsu), à la recherche d’un indice, une forme allongée sous une bâche, quelque chose.
Assez rapidement, le long de la route où nous pensons qu’il se trouve (c’est le seul autre indice dont nous disposons : il serait au bord de la route), je repère quelques gros flotteurs échoués dans un terrain vaguement vague. Il s’agit de grosses boules en polystyrène ou en plastique que l’on retrouve habituellement dans les ports de pêche de la région et qui servent à éviter aux bateaux qui y sont amarrés de s’entre-choquer ou de cogner le quai, un peu comme ceux-là. Étrange d’en trouver là, mais c’est la seule chose ayant un rapport avec la mer que vous trouvons. Avouons toutefois que c’est un peu faible comme piste.
Nous tournons un peu au hasard dans les routes – des chemins presque – qui zigzaguent entre les rizières, remarquons que là-bas aussi ils ont un problème avec les sangliers, c’est pas que dans les îles. Et finalement, nous nous arrêtons pour demander à quelqu’un sait-on jamais : après tout, tout le monde connaît tout le monde à la campagne.
J’imagine ce qu’il se passa dans la tête de cet homme quand il vit débarquer deux étrangers qui sortirent de leur voiture et marchèrent d’un pas décidé vers lui. Mais bon, je dois regarder trop de films, parce que passé l’étonnement que n’importe qui aurait eu n’importe où, l’homme ne sembla pas plus ému que ça, ni même vraiment surpris que James s’adresse à lui dans un japonais parfait. Sa réponse ?
“Mais c’est que vous n’êtes pas à Tomidahigashi ! Ici, c’est Tomidanaka…”
Damn! Nous nous étions trop éloignés !
Merci beaucoup monsieur et désolés de vous avoir dérangé.
Nous sommes remonté dans la voiture pour repartir vers le bon quartier (nous en étions à quelques centaines de mètres à peine, pas exactement à l’autre bout du monde non plus). Nous roulions au pas sur une de ces routes minuscules entre deux champs, espérant ne pas voir arriver un autre véhicule car je ne sais pas comment nous aurions pu nous croiser, quand un chien apparut au milieu de la route. Il marchait vers nous, l’air calme, presque guilleret. Un chien de la campagne rentrant chez lui après une aventure, lui aussi. Il s’arrêta au milieu de la route, nous intimant de nous arrêter. Pourtant aucune agression dans son air. Il semblait même presque sourire. Il recommença à marcher doucement vers nous, toujours en plein de milieu de la route. Bientôt je remarque quelque chose d’anormal. Au dessus de son œil, une protubérance sombre.
Encore un peu plus près et je comprends que la protubérance n’est pas au-dessus de son œil. C’est son œil ! Crevé, exorbité, noir, sale, très probablement infecté, à moins qu’il ne soit pourri. Je n’arrive pas à déterminer si la blessure est très récente (pas de sang en tout cas, ou alors, tout ce noir c’est du sang coagulé) ou très vieille. Et très honnêtement, je n’ai pas eu envie d’en savoir plus.
Finalement, il s’est poussé sur le côté de la route, et il a continué à nous regarder, continuant à essayer de nous faire passer son message jusqu’à ce qu’il disparaisse de mon rétroviseur.
La route nous ramena bientôt vers ce croisement un peu plus urbanisé que les autres, et le salut apparut sous la forme de ce logo rouge et blanc reconnaissable entre tous. S’il y a bien un endroit où quelqu’un pouvait nous renseigner sur une adresse, c’était bien à la Poste.
Quand James ressortit du bâtiment (je l’avais attendu dans la voiture) il avait une mauvaise nouvelle et une bonne.
La mauvaise c’était que cette adresse n’existait pas.
La bonne c’est qu’on lui avait indiqué les pâtés de maison correspondant à l’adresse (vous voyez que ça a aussi des côtés pratiques le système d’adresse japonais).
Et ces nouvelles indications nous conduisirent droit vers… ce hangar avec tout un tas de morceaux de tout et de rien autour, celui avec les flotteurs aperçus précédemment.
Nous y retournâmes donc pour inspecter l’endroit.
C’est un des trucs que j’aime bien au Japon. Pour je ne sais quelle raison, j’imaginais la même scène US (peut-être parce que James est américain) : entrer ainsi dans ce lieu, un peu dépotoir sur les bords, mais propriété privée quand même, même sans porte, même sans avoir commis aucune effraction à proprement parler, nous prenions le risque d’être accueillis à coup de fusil. Même en France, un chien méchant mal attaché n’était pas à exclure. Mais au Japon, surtout dans la campagne de Kagawa, c’est sans aucun danger que nous commençâmes à chercher s’il y avait quoique ce soit qui ressemblerait à un bateau.
Et là horreur !
Ce tas de morceaux de bois, et si c’était…
Non… Nous nous rassurons en remarquant certains éléments qui ne trompent pas : ces planches et poutres ont été prélevées sur une vieille maison démolie, pas sur un bateau. Mais du coup, nous faisions encore chou blanc, surtout que nous ne savions toujours pas si nous étions au bon endroit.
Une cinquantaine de mètres un peu plus haut, un garagiste œuvrait dans son garage. Il connaissait forcément le propriétaire du lieu, il nous aiderait forcément à faire avancer notre quête.
Là aussi, le fait que nous étions non seulement au Japon, mais en plus à Kagawa, prend toute son importance. En Europe, je vous laisse imaginer la réaction d’un garagiste de campagne en voyant deux métèques débarquer chez lui. Et dans pas mal d’autres endroits de la campagne japonaise, j’imagine que nous aurions été accueillis avec un vent de panique, certes poli, mais qui se serait arrangé pour nous faire partir le plus rapidement possible.
Mais là, non…
Passé l’étonnement du premier abord, M. Hashimoto (car c’était son nom) engagea la conversation presque comme si nous avions été du village voisin. Non, il ne savait pas à qui appartenait le terrain d’à côté et il n’y voyait presque jamais personne. Mais il avait effectivement vu un bateau en bois sur le côté du hangar près de la route il y a quelques mois. Il ne pouvait nous en dire plus, et il était assez impressionné d’avoir affaire à un artiste de la Triennale de Setouchi et à… je ne sais plus trop comment James m’a présenté, mais forcément quelque chose de très flatteur… forcément… Il demanda aussi son numéro à James au cas où il voit quelqu’un dans un futur proche.
Après les remerciements d’usage et la visite de curiosité d’un de ses potes (nous l’avions croisé alors qu’il sortait du garage, réalisant que nous y entrions, il aura certainement fait demi-tour sous prétexte d’avoir oublié quelque chose, mais en réalité dans le but d’apercevoir les bêtes curieuses que nous étions – ça doit pas être tous les jours que des étrangers passent à Tomidahigashi), nous repartîmes vers le terrain où s’entassaient morceaux de bois, flotteurs portuaires, voitures plus ou moins à l’état d’épaves (certaines semblaient assez récentes et pas vraiment en mauvais état, pourtant elles n’étaient pas “garées” plutôt “laissées là”), mais pas notre bateau.
En faisant le tour du hangar, nous tombâmes sur ces trois navires qui à la fois nous rassuraient sur la présence passée de l’objet de notre quête, mais nous frustraient car si eux étaient là, pourquoi pas le “nôtre” ?
Et s’il était dans le hangar ?
Ce dernier était bien entendu fermé à clé avec un gros cadenas, mais possédait divers trous ici ou là. Après un certain nombre de coups d’œil jetés à travers ceux-ci, nous déduisîmes que la hangar était pour l’essentiel vide, mais y étaient quand même entassés pas mal de morceaux de trucs divers et variés, dont un cadran de vieux téléphone chromé dont je n’aurais rien fait, mais que j’aurais bien aimé récupérer. Nous pouvons toutefois affirmer avec une certitude d’environ 80% (car c’est la surface de l’intérieur du hangar que nous avons réussi à percevoir à travers les divers trous) que le bateau ne s’y trouvaient pas.
Par contre, au sol, devant la porte une indice supplémentaire :
Grâce à cette facture d’électricité, nous possédions maintenant le nom du propriétaire – ainsi que le fait que la consommation d’électricité pour le mois dernier était de 0 yen (non, nous n’avons pas ouvert de lettre, si vous ne vivez pas au Japon, sachez que ces factures ne sont pas des lettres, mais juste un bout de papier avec des informations imprimées dessus). Ça, plus le fait que le papier traînait depuis quelques jours, il était clair que la personne en charge du lieu n’y venait pas très souvent.
Nous devions par contre nous rendre à l’évidence : même si nous avions pas mal avancé dans notre quête, nous avions quand même fait chou blanc. Nous avions trouvé le lieu où le bateau avait été jusqu’à récemment, mais il n’y était plus. (Et pourquoi a-t-il donc été déplacé récemment ?) Nous avions toutefois le nom de la personne qui avait “hébergé” le bateau, mais pas vraiment de moyen de le contacter. Par contre, nous avons aussi un “espion” sur place qui nous donnera, espérons-le, le coup de fil crucial.
À suivre… Espérons-le.
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En tout cas moi je suis à fond dedans! Et quel plaisir de découvrir des paysages et des gens que nous n’aurons jamais l’occasion de rencontrer ailleurs.
Vivement la suite!
Pour une raison ou une autre, les gens commentent assez peu sur ce blog, et quand ils le font, c’est souvent sur Facebook (où je poste des liens vers tous les posts). Heureusement tu es là.
Mais bon, comme pour toutes choses, je préfère la qualité à la quantité et quand je vois les blogs qui ont beaucoup de commentaires, je me dis que je suis finalement bien content avec mes rares commentaires toujours de qualité. 😉
Donc merci encore et toujours…